Ses amis du show-biz le surnommèrent « Eddie de Saint-Tropez » le jour de ses obsèques, il y a vingt ans au cimetière marin. Mais quel souvenir laisse le roi du microsillon, pape des soirées blanches alors que le village s’apprête à le célébrer à travers une grande exposition rétrospective ?
OVNI hors du temps
« C’était un personnage de roman ! » , s’exclame d’emblée Jean-Roch. Le boss du VIP Room, qui comme tous les enfants de sa génération a découvert Eddie Barclay sur papier glacé à travers ses soirées blanches. Aujourd’hui, il s’émerveille encore d’avoir fini par faire partie des invités et même, d’avoir organisé les quatre dernières fêtes dans son club après la vente de sa villa du cap Camarat. « Les fameuses soirées dans sa villa étaient dignes d’un film : une dizaine de chefs trois étoiles servant eux-mêmes leur buffet, après avoir convenu du menu avec Eddie, l’orchestre des 17 musiciens de la formation de Count Basie sur la terrasse, les Gipsy Kings à l’entrée pour accueillir les convives, les danseuses brésiliennes, les lumières qu’il avait lui-même réglées avec Jacques Rouveyrollis la veille, et le fameux feu d’artifice, rare dans une soirée privée à l’époque, surtout d’une telle ampleur », se souvient celle qui fut sa huitième et dernière épouse, Caroline Barclay. « Pour moi Eddie cumule sa magie à celle de Saint-Tropez. Il était le maître absolu de la fête et quelqu’un de très nourrissant pour le jeune homme que j’étais. Car il y avait aussi la bande à Barclay. Que ce soit chez lui ou les parties de pétanque place des Lices, c’était les Grosses têtes pendant des heures ! Des fou-rire, un humour décalé et une générosité fantastique. Je n’ai jamais recroisé d’Ovni de ce calibre », raconte Jean-Roch. « Le point commun de ses déjeuners était un savant mélange d’artistes – Johnny, Carlos, Eddy Mitchell, Quincy Jones, Collaro, Darry Cowl, Jean Lefebvre, Jean Yanne, Pierre Bénichou, Robert Hossein… – , d’hommes d’affaires , Bernard Tapie en tête, de grands médecins, d’hommes politiques et de grands sportifs comme son grand ami Olivier de Kersauson. Eddie avait ce don de mise en scène : il savait organiser sa table comme personne. L’ambiance, l’esprit, la rigolade bon enfant étaient assurés sans parler des mets fabuleux et des grands vins qui ornaient sa table », ajoute, Caroline Barclay, courtisée suite à un casting pour la pièce « Angélique marquise des Anges « en 1986, alors qu’elle avait 20 ans. Plus que jamais dans le paysage tropézien, elle prendra logiquement part ce 11 juillet au vernissage de l’exposition rétrospective co-organisée par la Ville et Paris-Match (1). Alors, était-il le dernier nabab? Stéphane Collaro qui prit en 2012 la présidence de l’association Barclay, nuance. « On garde cette image, mais Eddie était un faux riche. Il a fini sans un sou. Du temps de ses fêtes, on parlait de son grand train de vie. En fait, il y avait beaucoup de système D et surtout d’amitiés célèbres », avance l’animateur-producteur retiré des plateaux.
Le havre ramatuellois aux 100 haut parleurs
Qu’importe, les souvenirs marquants restent légions dans l’esprit de Jean-Roch qui pétille comme dans un rêve à l’évocation de Quincy Jones jadis pensionnaire ramatuellois. « Les voir tous les deux longuement jammer sur le piano à queue blanc de la maison du Cap où s’entassaient des dizaines de photos de l’époque… Quel moment hors du temps ! » Eddie Barclay, avait lui aussi un rêve. Posséder un jour une maison dans la presqu’île Il finira par dénicher le terrain tout au bout des plages de Pampelonne, mais mettra vingt-cinq ans pour voir pousser cette demeure idéale, «conçue pour recevoir, à la manière d’un show ou d’une comédie musicale », disait-il. « Mon père est arrivé à Saint-Tropez dans les années 50. Au début il a loué des maisons à La Capilla ou La Forge dans les Parcs. Il a acheté son terrain en 1968 avec maman (Marie-Christine Steinberg, Ndlr), mais n’a construit que dans les années 80. Au moment où il a vendu sa maison de disques en fait », retrace Guillaume, son fils unique qui a hérité des quelque 20 000 photos paternelles. Ni palais ni Graceland, cette villa d’un seul niveau construite sur le modèle des mas provençaux dotée de six chambres et d’une centaine de haut parleurs disséminés un peu partout, se définissait comme un havre de liberté… « Chacun y vivait comme il veut, sortait où il veut et… revenait ou partait avec qui il veut », selon les souhaits du maître des lieux qui descendait dès sept heures le soir pour sa traditionnelle partie de pétanque avec Henri Salvador, Eddy Mitchell et autres habitués… Elle s’achevait rarement avant 22 h. Pouvaient alors commencer les déambulations au Café des Arts, Chabichou, Pizza Romana, Bistrot des Lices avant de s’engouffrer aux Caves du Roy qui abritait alors le Barclay’s Club où la joyeuse bande sacrifiait cette fois au rituel de la « pétanque billard » !
Dans les coulisses du Barclay’s Club
« Eddie adorait la fête mais mais pas la foire, ni la bousculade et aimait pouvoir converser. Voilà pourquoi j’ai ouvert le Barclay’s Club dans une enclave des Caves où j’ai installé le billard, un bar et un piano. Je le revois encore faire le bœuf avec Aznavour et Liza Minnelli… », évoque l’ex reine de la nuit, Jacqueline Veyssière qui ne tarit pas d’éloge envers l’homme en blanc. « Eddie a tout simplement été le Monsieur le plus extraordinaire qu’on ait eu à Saint-Tropez ! Il n’a cessé de m’accompagner durant les trente années passées à partir de l’ouverture du Byblos. Il était mon complice et j’étais la sienne jusqu’au bout ! », s’amuse Jacqueline également pionnière en matière de happening festif. Comme cette fois où elle ramena Grace Jones de New York pour un show aux Caves dont le premier spectateur fut Eddie bien entendu !
Elton John au petit déjeuner
Pour son fils Guillaume, les « happenings » étaient quasi-quotidiens dans la Maison du Cap. « J’étais élevé par ma maman et l’été c’était la parenthèse tropézienne chez papa. Je côtoyais tout un tas de personnalités sans les connaître vraiment. Tout était très naturel. Je me souviens de ce matin. J’ai 15 ans. Nous sommes la veille d’une soirée blanche. Je me lève et je me retrouve en face d’Elton John en train de prendre son petit déjeuner en jouant sur le piano blanc Song For Guy, l’une de mes chansons préférées encore maintenant ! », sourit-il. Disparu le 13 mai 2005 à 84 ans, Eddie qui repose sous une stèle de 33 tours au cimetière marin est le symbole d’une époque révolue. « Il avait cette capacité à fédérer les gens. Des plus grands musiciens aux joueurs de boules. Aujourd’hui des Michel Legrand, Stéphane Grappelli ou Quincy qui viendraient jouer gratuitement, ça n’existe plus ! D’ailleurs lorsque les soirées de papa ont commencé à être sponsorisées, c’était le début de la fin… », conclut Guillaume, artiste-photographe, grand spécialiste des prises de vue à la fibre optique dont on pourrait bien retrouver les portraits et œuvres aussi lors d’une grande exposition tropézienne cet été chez Do You Tropez Art Legacy !
20 Years Later – The Man in White Still Leaves His Mark on Saint-Tropez
His showbiz friends nicknamed him “Eddie of Saint-Tropez” on the day of his funeral, twenty years ago at the marine cemetery. He was 84. But what legacy does the king of vinyl records and pope of the white parties leave behind, just as the village prepares to honor him with a major retrospective exhibition? “He was like a character out of a novel!” exclaims Jean-Roch, owner of the VIP Room. “Those legendary parties at his villa were straight out of a movie: a dozen three-star chefs personally serving their buffet after agreeing on the menu with Eddie, a 17-piece orchestra from Count Basie’s band playing on the terrace, the Gipsy Kings greeting guests at the entrance, Brazilian dancers, lighting he had set up himself the night before, and the famous fireworks display — a rare treat at private parties back then,” recalls Caroline Barclay, his eighth and last wife, who will naturally attend the opening of the retrospective on July 11, co-organized by the City and Paris Match. The memories remain vivid in Jean-Roch’s mind, lighting up like a dream at the mention of Quincy Jones, who once lived in Ramatuelle. “Watching the two of them jam for hours on the white grand piano in the Cap house – that was a timeless moment!” Neither a palace nor Graceland, his villa in Ramatuelle, built in the style of a Provençal farmhouse with six bedrooms and over a hundred speakers scattered throughout, was a haven of freedom where he constantly welcomed guests. “Eddie loved a good party, but not chaos. He liked to be able to talk with people. That’s why I opened the Barclay’s Club in a secluded part of Les Caves du Roy, where I set up a pool table, a bar, and a piano. I still see him jamming with Aznavour and Liza Minnelli…,” recalls former nightlife queen Jacqueline Veyssière, who brought Grace Jones from New York for a show at Les Caves — with Eddie, of course, as the very first spectator. For his son Guillaume, such “happenings” were nearly daily events at the Cap house. “I remember one morning — I was 15. It was the day before a white party. I woke up and found myself face-to-face with Elton John, having breakfast while playing ‘Song For Guy’ on the white piano — still one of my favorite songs today!” he smiles.